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LA VOIX DE L'AMBIKY
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MADAGASCAR : LA REFONDATION FACE AUX DEFIS DE LA RECONCILIATION ET DE LA DECENTRALISATION

MADAGASCAR : LA REFONDATION FACE AUX DEFIS DE LA RECONCILIATION ET DE LA DECENTRALISATION
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Trois semaines après la prise de pouvoir par les militaires et le départ d'Andry Rajoelina, Madagascar entre dans une phase délicate de sa cinquième crise politique depuis l'indépendance. Alors que le colonel Michaël Randrianirina, à la tête de la "Présidence de la Refondation de la République", tente d'organiser une transition de deux ans, deux questions anciennes et récurrentes resurgissent avec une acuité particulière : la réconciliation nationale et la décentralisation

Une crise aux accents de déjà-vu

L'histoire semble se répéter dans cette Grande Île de l'océan Indien. En septembre 2025, la "Gen Z Madagascar" a lancé un mouvement de protestation inédit, utilisant les réseaux sociaux pour mobiliser des milliers de jeunes. Ce qui a commencé comme une protestation contre les coupures d'eau et d'électricité s'est rapidement transformé en contestation générale d'un pouvoir accusé de corruption, d'incompétence et autoritaire.

Le scénario rappelle étrangement celui de 2009, lorsqu'un jeune maire d'Antananarivo nommé Andry Rajoelina menait lui-même la révolte populaire contre le président Marc Ravalomanana. Seize ans plus tard, le même Rajoelina fuyait le pays à bord d'un avion militaire français, exfiltré le 12 octobre après que des unités de l'armée du CAPSAT eurent rallié les manifestants. L'Assemblée nationale votait sa destitution par 130 voix contre 33, et la Haute Cour Constitutionnelle constatait la "vacance" du poste présidentiel.

Comme le résume l'historien Arnaud Léonard : "Chaque régime promet la fin du désordre et finit par en être la source. Chaque président se présente comme le sauveur, et chaque génération finit par descendre dans la rue pour le chasser."

Le gouvernement de la Refondation : entre promesses et pragmatisme

Le 28 octobre 2025, le colonel Randrianirina officialisait la composition d'un gouvernement de transition de 30 ministres, dirigé par le Premier ministre Herintsalama Rajaonarivelo. Cette équipe, comptant 10 femmes et 20 hommes, se veut le pilier d'un "projet ambitieux de reconstruction institutionnelle, économique et sociale".

Parmi les nominations clés figurent plusieurs personnalités de l'ancienne opposition au régime Rajoelina, dont Hanitriniaina Razafimanantsoa (Maître Hanitra) comme ministre d'État chargé de la Refondation, et Fanirisoa Erinaivo, ex-magistrate et fervente opposante de l'ancien régime en qualité de ministre de la justice. La présence de Hanitra Velonjara Tiaray Rakotonandrasana au ministère de l'Intérieur et de la Décentralisation constitue un signal fort : la question de l'autonomie des collectivités territoriales est placée au cœur du projet de refondation.

Le nouveau pouvoir s'est donné un délai serré : 60 jours pour obtenir des "résultats tangibles" dans les urgences sociales - accès à l'eau, à l'électricité, amélioration du système de santé et d'éducation. Un pari audacieux dans un pays où plus de 75% de la population vit sous le seuil de pauvreté, avec l'équivalent de 80 centimes d'euro par jour.

Réconciliation nationale : une vieille rengaine toujours d'actualité

La question de la réconciliation nationale, que le professeur Albert Zafy brandissait déjà comme un étendard en 2008, refait surface avec une urgence renouvelée. Après des semaines de manifestations ayant fait au moins 22 morts selon l'ONU (un bilan contesté par le pouvoir déchu), après des affrontements entre forces de sécurité et manifestants,  le besoin de "panser les plaies" de la nation apparaît plus vital que jamais.

"Après tant de repressions infligées à ceux qui dénoncent les abus et l'oppression dont ils subissent ;  après des mois de tension et de polarisation, la société malgache a besoin d'un dialogue inclusif", soulignent les observateurs politiques. La politologue Christiane Rafidinarivo, chercheuse au CEVIPOF Sciences Po, observe : "Le lien politique entre le pouvoir et la population, qui était déjà abîmé, est désormais ravagé."

Cette nécessité de réconciliation se heurte cependant aux mêmes écueils qu'en 2008 : comment unifier des forces politiques fragmentées ? Comment éviter que la transition militaire ne reproduise les errements du passé ? L'historien Denis-Alexandre Lahiniriko explique cette récurrence des crises par "la nature de la relation entre l'État et la population" : "L'État tel qu'il a émergé avant le XXe siècle a été pensé comme une institution étrangère à la population. Les Malgaches n'ont jamais réussi à créer une organisation socio-politique plus ou moins cohérente dans laquelle la population se reconnaît."

Décentralisation : la promesse éternellement différée

Si la réconciliation nationale est une question politique, la décentralisation est devenue une revendication populaire pressante. Depuis l'indépendance, Madagascar est officiellement un "État souverain et unitaire basé sur la décentralisation", avec trois niveaux d'administration : l'administration centrale, les services déconcentrés et les collectivités territoriales.

Dans les faits, le pays connaît une organisation complexe : 6 provinces divisées en 23 régions, 119 districts et 1 579 communes, elles-mêmes subdivisées en 17 485 fokontany. Mais cette architecture administrative n'a jamais véritablement donné l'autonomie promise aux collectivités locales. Le centralisme, qu'il soit "pseudo démocratique" comme sous la Deuxième République ou simplement "démocratique" comme sous les régimes successifs, a toujours étouffé les velléités d'autonomie régionale.

La nomination de Hanitra Rakotonandrasana au ministère de l'Intérieur et de la Décentralisation pourrait marquer un tournant. La mission de ce ministère est claire : "renforcer la gouvernance locale, promouvoir l'autonomie des collectivités et assurer une meilleure répartition des ressources publiques."

Les défis immenses d'une transition sous surveillance

Le nouveau pouvoir malgache fait face à des défis colossaux. Sur le plan international, l'Union africaine a suspendu Madagascar de ses instances, dénonçant un "changement anticonstitutionnel de régime". L'agence S&P Global Ratings a placé la note souveraine du pays sous surveillance négative, révisant à la baisse les prévisions de croissance pour 2025-2026 (3% contre 4,1% précédemment).

À l'intérieur, les attentes de la population sont immenses. La "Gen Z Madagascar", qui a porté le mouvement de protestation, scrutera chaque action du nouveau gouvernement. Comme le déclare le chanteur et militant écologiste Théo Rakotovao : "Cette révolution n'aurait pas pu fonctionner à 100% sans l'aide des militaires. Pour l'instant, on fait confiance."

Le risque majeur reste celui d'une transition qui s'enlise. L'armée malgache promet des élections d'ici deux ans maximum, avec l'adoption d'une nouvelle constitution. Mais Madagascar a une longue histoire de transitions militaires qui se sont prolongées indéfiniment ou qui ont simplement reproduit les mêmes dysfonctionnements.

Entre espoir et scepticisme

Dans les rues d'Antananarivo, l'ambiance demeure "très calme" selon les témoins, marquée par un mélange d'espoir prudent et de scepticisme. Les Malgaches, fatigués des promesses non tenues, attendent des actes concrets.

Le premier Conseil des ministres, tenu au Palais de Mahazoarivo sous la présidence du Premier ministre, a défini des priorités claires : accès universel à l'énergie et à l'eau potable, amélioration du système de santé et d'éducation, relance économique. Ces objectifs, pour louables qu'ils soient, sont exactement ceux que chaque régime a affichés depuis l'indépendance.

La question demeure entière : Madagascar saura-t-il, cette fois, briser le cycle des crises à répétition ? La refondation promise par le colonel Randrianirina sera-t-elle enfin l'occasion d'une véritable réconciliation nationale et d'une décentralisation effective ? Ou assistera-t-on, dans quelques années, à une nouvelle révolution portée par une jeunesse déçue ?

Comme l'écrit un observateur local : "Le chemin vers le retour à une République civile s'annonce semé d'embûches - et l'on scrutera à chaque instant le respect des échéances annoncées et la réaction des forces vives malgaches."

Pour l'instant, Madagascar se trouve une nouvelle fois à la croisée des chemins, entre la tentation du cynisme historique et l'espoir d'un renouveau véritable. Les deux prochains mois, ceux du délai fixé au gouvernement pour faire ses preuves, seront déterminants pour la suite de cette énième transition malgache.

Par SAID Jaffar - Analyste des Relations Internationales

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